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Offensive diplomatique algérienne pour relancer l'UMA

Par Aomar Baghzouz, La Tribune (Algiers), 4 June 2002

L’Algérie prépare activement le septième sommet des chefs d’Etat de l’Union du Maghreb arabe (UMA) prévu à Alger pour les 21 et 22 juin en cours. Mais en voulant être l’élément fédérateur d’un Maghreb en panne depuis 1994, ce pays-pivot réussira-t-il à revitaliser le projet d’intégration régionale, dans un contexte où les pesanteurs du passé et les différends du présent ont tendance à occulter l’impératif de l’union qu’impose le double processus de mondialisation-régionalisation?

Consciente de la difficulté de recoller les morceaux du puzzle maghrébin, l’Algérie ne désespère pas de revitaliser l’UMA, née il y a 13 années à Marrakech (1989) où le sommet des chefs d’Etat a entériné le projet ficelé un an plus tôt à la réunion de Zéralda (1988). C’est ainsi que le chef de la diplomatie algérienne a effectué des visites dans les quatre capitales maghrébines à l’effet de convaincre les chefs d’Etat à venir au sommet d’Alger qui se veut celui de la «refondation maghrébine». Ces visites ont été précédées de celle du ministre algérien de l’Intérieur au Maroc à la mi-mars 2002, qui est intervenue durant la campagne très violente que la presse et les officiels marocains ont lancée contre l’Algérie à la suite de la publication du rapport du secrétaire général de l’ONU sur le conflit du Sahara occidental. Mais en dépit du coup de froid qui a soufflé sur les relations bilatérales entre Alger et Rabat, on note une certaine convergence sur la nécessité de faire accompagner le partenariat Europe-pays du Maghreb puis individuellement de l’intégration maghrébine. Pour certains observateurs, les accords d’association euro-maghrébins vont entraîner une mécanique irrévocable qui tronçonne même tout l’acquis du processus de construction maghrébine depuis les accords de Marrakech (1). Mais ce qui manque réellement, c’est bien une volonté politique commune de réaliser l’intégration.

Lever les facteurs de blocage

Tous les chefs d’Etat maghrébins affirment que l’UMA demeure un objectif stratégique de premier ordre pour leurs pays respectifs et pour la région dans son ensemble. Mais 13 années après Marrakech, force est de constater que ce projet est toujours sur cale. Outre le problème du Sahara occidental, qui constitue un facteur de blocage, il y a d’autres différends qui entravent la dynamique unitaire dans la région. La position de la Libye reste ambiguë : ce pays refuse l’ancrage du Maghreb dans le processus de Barcelone et souhaite l’arrimer à l’Afrique qui est le seul choix de Kadhafi après la naissance de l’Union africaine. La Mauritanie est un membre de l’UMA mais reste peu active dans ce cadre, se contentant des quelques acquis concédés au titre de la Convention Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP) qui la lie à l’Union européenne. Quant au Maroc et la Tunisie, ils ont affiché très tôt leur volonté de s’arrimer à l’Europe (2) tout en multipliant les déclarations d’intention en faveur de la nécessité de l’unification du Maghreb. Cette nécessité est d’abord historique puisque le Maghreb s’était déjà unifié trois siècles avant Jésus-Christ sous les Berbères de Massinissa, s’est réunifié sous l’empire almohade et a donné lieu à un engagement unitaire des mouvements de libération nationale pendant la colonisation, lequel a débouché sur la fameuse Conférence de Tanger, en avril 1958 (3). Après l’indépendance de tous les pays maghrébins, les entraves à l’unification se firent jour. A commencer par la propagande nassérienne selon laquelle l’Union du Maghreb est un danger impérialiste contre l’unité arabe (4). De même que la question du leadership constituait la pomme de discorde entre les dirigeants maghrébins qui voulaient, chacun de son côté, être l’élément fédérateur de la région.

Emprunter les voies du consensus

Cette mésentente a donné lieu à une série d’alliances et à une politique des axes préjudiciable au dessein unitaire. Ce n’est que le 17 février 1989 à Marrakech qu’un engagement solennel a été pris pour la première fois avec la signature du traité portant création de l’UMA. Mais dès le départ, l’UMA a souffert d’un déficit démocratique et le fonctionnement de ses institutions est bloqué par les souverainetés étatiques. En clair, les décisions ne pouvaient jusqu’à présent être prises qu’à l’unanimité du Conseil de la présidence de l’UMA, mais s’il est difficile de modifier dans l’immédiat la règle de l’unanimité, certaines décisions peuvent être déléguées aux conseils des ministres de l’UMA. «Le principe de l’unanimité au double niveau de la ratification et de l’application nous a empêchés jusque-là de réaliser une union à géométrie variable permettant de commencer le processus d’intégration avec les pays déjà prêts et laissant le temps aux autres d’arriver pour répondre aux critères de convergence», a analysé M. Habib Boularès le secrétaire général de l’UMA (5). Il faudrait, en clair, savoir rompre avec la politique du blocage systématique au niveau de l’UMA et savoir parfois emprunter les voies du consensus. Le VIIème sommet des chefs d’Etat de l’UMA ne manquera pas d’évoquer cette lancinante question d’assouplissement des procédures et mécanismes de prise de décision au niveau de cet ensemble à renforcer. La refondation de l’UMA ne pourra pas se faire sans cette réforme institutionnelle. Par ailleurs, il s’agit de rétablir la confiance entre pays maghrébins. Il faut bien se dire qu’il n’y aura pas de projet d’intégration maghrébine tant que les causes patentes ou latentes des conflits politiques ou pseudo-politiques n’ont pas été résolues (6). Mais cette confiance mutuelle ne saurait s’établir entre les Maghrébins qu’à deux conditions : ne pas faire d’amalgame entre les différends intra-maghrébins et l’objectif de l’intégration maghrébine, d’une part, et ne plus monopoliser ce projet unitaire qui n’est pas uniquement une affaire des dirigeants politiques mais aussi et surtout celle des sociétés civiles maghrébines dans leur diversité, d’autre part. La construction de l’UMA ne devrait-elle pas se faire d’abord sur le terrain économique, social et culturel puisque le politique s’est avéré un facteur bloquant? Ne faudrait-il pas s’inspirer du modèle européen en laissant l’initiative aux opérateurs économiques, aux lobbies sectoriels, aux universitaires, etc. qui pourraient créer une dynamique d’intégration que le politique viendrait à encadrer? En tout cas, il ne s’agit pas de faire de la politique de replâtrage mais d’avoir l’audace de mener une véritable réforme institutionnelle et politique. Ainsi que l’a affirmé l’ex-chef de gouvernement algérien Sid Ahmed Ghozali (7), l’UMA est un contrat qui implique l’engagement des Etats membres à accepter le primat d’une loi supérieure à la loi nationale. Il faudrait, par conséquent, se débarrasser des égoïsmes nationaux qui ont caractérisé jusqu’à présent l’attitude des Etats maghrébins.

Réalisme et pragmatisme

La question du Sahara occidental n’est qu’un facteur parmi d’autres du blocage de l’UMA. Les Etats concernés doivent s’en remettre à la légalité internationale, donc au cadre de l’ONU, seul à même de favoriser une solution juste et équitable de ce problème, qui ne devrait pas interférer sur le projet de l’UMA si l’on veut avancer dans cette voie inéluctable. Si cette question envenime les relations algéro-marocaines, comment peut-on expliquer la faiblesse des échanges intra-maghrébins, entre l’Algérie et la Tunisie ou entre la Mauritanie et la Libye, par exemple? La volonté politique commune est donc le facteur le plus important pour réactiver l’UMA sur de nouvelles et solides bases. Le prochain sommet d’Alger devrait réveiller l’esprit de Tanger et de Marrakech mais avec une plus grande dose de réalisme et de pragmatisme. A cet égard, un Maghreb à géométrie variable ne serait pas une mauvaise chose pour gagner du temps dans la voie de l’intégration maghrébine.Selon le secrétaire général de l’UMA, cette intégration a pris du retard mais les textes pour la concrétiser sont prêts et n’ont besoin que d’une mise à jour lors du prochain sommet. Enfin, au moment où les instances de l’UMA semblent commencer à bouger (8), il faudrait peut-être, comme socle mobilisateur, établir le coût du «non-Maghreb», à l’instar du coût de la «non-Europe» qui a permis aux Européens de se mobiliser pour faire avancer leur projet d’intégration. Il est grand temps d’aborder cette importante question et le prochain sommet d’Alger est tout indiqué pour cela. Reste à savoir si les cinq de l’UMA donneront à cette rencontre tout l’intérêt et la solennité que l’Algérie veut lui conférer. Il y va de l’avenir d’une intégration maghrébine qui ne peut plus s’accommoder d’atermoiements et de tergiversations à l’ère de la mondialisation et des grands ensembles régionaux.

Notes

1—Lire l’entretien de M. Hassen Abou Ayoub, ambassadeur marocain en France, «Ne ratons pas cette chance historique», in Réalités No.856 du 23 au 29/05/2002, Tunis.

2—Par deux fois, en 1987 et 1994, le Maroc a officiellement déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne.

3—Cette conférence a réuni les trois partis du Maghreb central : le FLN (Algérie), l’Istiqlal (Maroc) et le Néo-Destour (Tunisie) et a esquissé un premier projet d’intégration maghrébine tout en soutenant l’Algérie, qui était alors toujours sous le joug colonial.

4—Le président égyptien Jamel Abd El Nasser se présentait comme le champion de l’unité arabe et voyait en l’union du Maghreb une tentative de briser le mouvement nationaliste arabe.

5—Lire l’interview de M. Boularès au quotidien londonien Al Hayat du 03/05/2002.

6—Cf. l’entretien de Abou Ayoub. Op. Cit.

7—Communication de Sid Ahmed Ghozali au forum international de Réalités, Tunis 24 et 25/04/2002.

8—En l’espace des 14 derniers mois, 24 réunions à des niveaux divers (ministériel, comité de suivi, comités spécialisés) ont été recensés par M. Habib Boularès. In Al Hayat, op. cit.